Sorti en salle le 22 novembre 2023, quel constat faire de Mars Express, le nouveau film d’animation de science-fiction 100% français ? Voici notre critique.
Mars Express est un film d’animation français réalisé par Jérémie Périn (Lastman), avec pour l’épauler au scénario Laurent Sarfati. La production de Everybody On Deck, distribuée par Gebeka Films, bénéficie d’un budget de 6,7 millions d’euros et aura mobilisé pas moins de cinq studios d’animations différents afin de mettre sur pied ce long métrage de science-fiction. Avec Léa Drucker et Daniel Njo Lobé dans les rôles principaux d’Aline Ruby et Carlos Rivera, voici ce que nous propose le synopsis officiel :
En l’an 2200, Aline Ruby, détective privée obstinée, et Carlos Rivera son partenaire androïde, sont embauchés par un riche homme d’affaires afin de capturer sur Terre une célèbre hackeuse. De retour sur Mars, une nouvelle affaire va les conduire à s’aventurer dans les entrailles de Noctis, la capitale martienne, à la recherche de JunChow, une étudiante en cybernétique disparue.
Un worldbuilding totalement maîtrisé
Premièrement, il est frappant de voir à quel point Mars Express brille par son worldbuilding. La richesse de cet univers futuriste se déploie naturellement au fil du récit, avec tout le contexte autour de la colonisation humaine sur Mars. En effet, les technologies émergentes de notre époque ont atteint leur apogée dans ce monde (robots, intelligence artificielle). Ainsi, leur stade d’évolution et si avancé qu’il est difficile de les différencier des humains selon certains cas, ou de déterminer s’ils le sont toujours pour d’autres. L’enquête menée par Aline et Carlos nous permet de témoigner de toutes les facettes et subtilités de ce monde. Le tout, de manière autonome, les créatifs ayant la volonté de respecter l’intelligence de ses spectateurs. Nous sommes donc bien épargnés des dialogues superflus visant à faire de l’exposition. Au contraire, l’histoire nous plonge directement au cœur de cet univers dès les premières minutes du long métrage. C’est à nous d’assembler les pièces du puzzle pour en saisir toutes ses nuances.
Malgré les éléments extravagants qui nous rappellent que nous sommes dans le futur, il nous arrive à plusieurs reprises d’être si entraînés par l’intrigue que nous oublions que l’action se déroule sur Mars et non la planète Terre. C’est seulement lorsque nos deux protagonistes se déplacent d’un lieu à un autre que nous prenons conscience du lieu dans lequel ils évoluent. C’est un effet volontaire de la part du réalisateur Jérémy Périn, dans le but de donner une sensation de familiarité et de confort aussi bien aux habitants de la planète Mars qu’aux spectateurs. Mais, cela confronte également l’humanité à sa réalité de colonisateurs au sein d’une planète rocailleuse et déserte, soit hostile pour notre espèce. Ainsi, il y a cette question de la légitimité de notre potentielle présence sur Mars, d’autant plus que le réalisateur a confié à plusieurs reprises vouloir critiquer les idées d’Elon Musk ou de Jeff Bezos qui parlent justement de s’établir en ce lieu dans le futur.
Pour terminer sur ce point, le worldbuilding mis en place dans Mars Express ne se contente pas d’être un simple décor futuriste. Ce dernier est littéralement au centre de l’intrigue et figure la métaphore des thèmes qui alimentent le film. Le scénario est habilement conçu pour que l’univers nous éclaire sur la nature complexe de certains événements ou personnages. Tout cela est accompagné d’une direction artistique envoûtante. Même si à certains moments nous témoignons des limites du budget du film en termes d’animation (foule et quelques décors trop statiques), nous nous disons que ces économies valaient le coup à la vue de l’affrontement final, tant nos deux enquêteurs nous en mettent plein les yeux. Ce lien fort entre le fond et la forme dans Mars Express contribue à une expérience immersive qui nous pousse à la réflexion.
Un storytelling tout aussi qualitatif
Mars Express possède un scénario au cocktail gagnant, empruntant au genre cyberpunk (Blade Runner, Ghost in The Shell) et bien sûr aux films noirs classiques. En effet, le récit est marqué par sa complexité et ses gros enjeux qui influencent profondément son univers. L’aspect le plus évident du genre noir se trouvant dans celui de la conspiration. Durant leur enquête qui s’avère être haletante du début à la fin, Aline et Carlos vont démêler tout un complot sous-jacent à la disparition de Jun Chow. Entre leur quête de vérité, les courses poursuites contre les bras de cette corporation cybernétique et l’aliénation qui s’en suit avec certains membres de la police, tous les ingrédients sont réunis. Tous ces éléments viennent ensuite se greffer aux thèmes spécifiques de Mars Express comme la relation entre êtres humains et intelligence artificielle, l’impact de la technologie dans cette société futuriste et surtout toutes les dérives sombres qu’elles ont engendrées dans cet univers.
Pour illustrer cela, nous avons droit à un duo qui rend cette intrigue d’autant plus intéressante, à la vue de leur complémentarité qui met sur la table des thèmes distincts. Au cœur de cette dynamique se trouve Aline Ruby, une détective privée. Cette alcoolique qui lutte contre une rechute est une femme réfléchie et intrépide au sens aigu de la justice. Sa quête pour exposer le complot dans lequel elle se retrouve met en lumière la vulnérabilité humaine, dans la mesure où un événement clé du film la pousse retomber de son alcoolisme. Cependant, sa force de caractère resurgit dans le dernier acte et lui permet d’agir selon ses convictions. Elle figure la personnification de l’être humain dans tous ses aspects.
Aline est assistée de Carlos Rivera, qui a la particularité d’être un sauvegardé (une personne morte qui voit sa conscience être transférée dans un robot). Son statut implique de nombreuses questions centrales dans le film. À commencer par la technologie qui tout au long du film montre sa capacité à tromper la mort de différentes manières. Ainsi, cet outil doit-il réellement interférer avec le cycle de la vie en permettant à des personnes comme Carlos d’exister ? Une question qui gagne en pertinence lorsque ce dernier voit sa famille se reconstruire avec un autre, insinuant qu’il n’a plus sa place dedans. Plus encore, l’attachement que nous développons pour ce personnage nous interroge sur ce qui fait l’essence d’un être humain.
Quand Carlos substitue l’hologramme de son visage à un outil, il apparaît sous sa forme la plus robotique possible, renforçant cette dualité entre les deux entités. Mais dans ce cas, pouvons-nous considérer Carlos comme un être humain à part entière ? Où se situe la limite entre le vivant et l’artificielle ? Finalement, qu’est-ce qui nous définit en tant qu’hommes ? Durant toute la production, nous pouvons assister aux conséquences de ces avancées sur les relations humaines, les compétences qui se perdent, voire une prédiction sur notre future obsolescence face à des êtres aussi performants…
L'article
Mars Express
Ce serait une erreur de passer à côté de Mars Express ! Ce film nous propose un univers passionnant à contempler ainsi que des questions éthiques pertinentes qui résonnent avec la montée de l’intelligence artificielle et de la technologie de nos jours. En plus de combiner habilement plusieurs genres, son duo de protagoniste complémentaire est soutenu par un panel de personnages attachants. Le tout, accompagné d’une animation et d’une direction artistique remarquable, avec un dernier acte qui reste collé à notre rétine en sortie de salle.
Avantages
- Un univers fascinant à découvrir.
- Une histoire prenante du début à la fin.
- Des personnages très attachants.
- Une direction artistique grandiose.
- Un dernier acte spectaculaire.
- Une fin audacieuse.
Inconvénients
- Un petit budget qui se fait sentir à certains moments (arrière-plans trop statiques).
- Une bande-son pas si mémorable que ça.