Le Garçon et le Héron est le dernier film en date du grand Hayao Miyazaki, considéré comme un pilier du film d’animation. Diffusé le 14 juillet 2023 au Japon, nous avons eu droit à sa sortie sur grand écran le 1er novembre 2023 en France. Voici notre critique.
Le 22 septembre 2023 marque un tournant historique pour le Studio Ghibli, annonçant son rachat par la chaîne Nippon TV. Juste avant cette nouvelle ère, le film Le Garçon et le Héron a capturé l’attention des fans du studio, étant perçu comme la dernière œuvre d’Hayao Miyazaki (80 ans). Pour cet événement, le studio a opté pour un choix audacieux, en ne partageant aucune bande-annonce, image, synopsis ou information sur le casting avant sa première au Japon. Toshio Suzuki, le Président de Ghibli, a justifié cette décision par une interview pour Bungei Shunju, affirmant que « c’est ce que les spectateurs désirent inconsciemment ».
Ce n’est qu’à sa sortie en Europe que le public a eu droit à une bande-annonce officielle. Quoi qu’il en soit, le film a été un succès domestiquement, en générant 13,2 millions de dollars durant son premier week-end, un record pour une production de Studio Ghibli. Et il semble que Miyazaki continuera de battre des records, tout en étant fidèle à sa réputation de retraité le plus actif du cinéma, ce dernier ayant de nouvelles idées de film.
Un voyage captivant mais pas sans défauts
Le Garçon et le Héron de Hayao Miyazaki nous raconte l’histoire de Mahito, un jeune garçon de 11 ans qui doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où sa mère a grandi, après la disparition de cette dernière dans un incendie. Il s’installe avec son père dans un vieux manoir situé sur un immense domaine naturel, le tout avec la présence de sa tante devenue belle-mère et des vieilles grand-mères qui animent l’endroit. Lorsqu’il rencontre un mystérieux Héron Cendré, il se rend compte que l’animal n’a rien d’ordinaire. Ce dernier le plonge alors dans un monde parallèle où une aventure inédite l’attend afin de pouvoir faire le deuil de sa mère et percer les mystères de la vie.
Le Garçon et le Héron est essentiellement un voyage initiatique, mais n’est pas simplement un périple vers l’âge adulte. Au cœur de cette œuvre se trouve un thème cher à Miyazaki : le deuil, écho à la perte prématurée de sa propre mère. Si Le Vent se Lève était un hommage au père, ici, c’est la figure maternelle qui est mise à l’honneur. Chaque personnage féminin reflète une nuance de la maternité, à commencer par la mère de Mahito. Elle symbolise la protection, offrant à son fils malgré le fait qu’ils aient le même âge dans le monde parallèle un abri contre les dangers. Aussi bien au sens figuré lorsqu’elle le protège d’ennemis avec son feu qu’au sens propre en l’emmenant dans sa maison pour lui préparer un petit déjeuner, renforçant l’idée de « chez soi ».
Ensuite, Kiriko incarne une dimension éducative essentielle de la maternité. Elle est celle qui initie Mahito au monde parallèle, agissant non seulement en tant que guide, mais aussi en tant qu’enseignante. Elle éclaire son chemin dans cet univers inconnu, lui révélant les subtilités et le fonctionnement du monde dans lequel il se trouve, puis le laisse s’envoler de ses propres ailes. Enfin, Natsuko, la tante devenue belle-mère de Mahito, personnifie la maternité sous l’angle de la découverte et de l’amour naissant. Le périple de Mahito pour la ramener à la réalité se transforme en un voyage d’apprentissage mutuel, où chacun apprend à connaître et à aimer l’autre, créant ainsi un lien aussi fort que celui du sang.
Bien que le film brille par ses qualités, il n’échappe pas à certains défauts. Un point notable concerne le développement des personnages secondaires. Alors que le protagoniste bénéficie d’une évolution captivante, ses compagnons de voyage semblent figés dans leur rôle initial. Ce qui rend difficile d’établir une forme d’attache ou un lien émotionnel profond avec eux à l’issue de l’aventure. En fin de compte, notre attachement repose plus sur celui qu’entretient Mahito avec eux, comme le grand-oncle, la mère ou la belle-mère, que sur une connexion émotionnelle avec nous, spectateur. Cependant, il faut souligner que la dynamique entre Mahito et le Héron, qui part d’une relation énigmatique et conflictuelle à une complicité légère et teintée d’humour, offre des moments particulièrement agréables à regarder.
Enfin, le film connaît un léger problème de rythme, particulièrement lorsque nous passons à la seconde moitié. Bien que cette partie soit riche en action et visuellement aussi attrayante que la première, la manière dont les rouages du monde parallèle et de ses enjeux sont présentés aurait mérité plus de précisions au fil du long métrage, au lieu d’être expéditif, sans que nous ayons vraiment le temps de tout bien assimiler.
Une expérience artistique très marquante
Au début du film, Miyazaki prend le soin de nous immerger dans son univers. Chaque dialogue, chaque trajet, se transforme en une invitation à découvrir la richesse de la nature et de l’environnement par des décors qui caressent notre rétine. L’ambiance lente et paisible, qui contraste avec la première scène, est parsemée de mystères tels que la tour près de la maison, et bien sûr, la présence intrigante du Héron Cendré.
Sa présence s’infiltre dans les scènes avec la musique, avant même son apparition visuelle, grâce au travail du compositeur Joe Hisaishi. Effectivement, des petites notes de piano viennent nous signaler sa proximité, ce qui enrichit notre expérience visuelle et nous pousse à être attentifs aux musiques, nous impliquant davantage dans les événements. En bref, c’est une excellente bande-son qui donne le rythme au film et parvient, dans la première partie, à faire le dialogue à la place des personnages, laissant place à des scènes contemplatives.
D’autre part, si la direction artistique de Le Garçon et le Héron est aussi marquante, c’est qu’en plus de sa beauté, elle sert de passerelle pour raconter quelque chose de profond comme nous le voyons avec la notion du feu. La première scène nous plonge dans le terrible incendie de l’hôpital où se trouve la mère de Mahito. L’atmosphère est angoissante et obscure, rythmée par les sirènes, puis brusquement éclairée par les violentes flammes. La course désespérée de Mahito vers l’hôpital est magistralement mise en scène, on trouve le moyen de nous faire suivre du regard son parcours malgré le chaos ambiant qui domine à l’écran.
De là, le feu devient ainsi une source de traumatisme pour le jeune garçon. Tandis qu’il tente de surmonter ce drame à sa façon, la direction artistique orchestre de sublimes transitions enflammées qui le replongent dans ses souvenirs, avant que le processus ne soit systématiquement interrompu par son père, sa tante devenue belle-mère, les grand-mères de la maison, ou encore par le fameux Héron cendré.
Lorsque Mahito entre dans le monde parallèle, la direction artistique prend un nouveau tournant. Nous découvrons une mer vaste et agitée, où nous pouvons déceler une métaphore en la rupture avec le thème du feu. On pourrait penser que comme les vagues emportant tout sur leur passage, Mahito laissera ses traumatismes derrière lui pour aller de l’avant. Pourtant le feu réapparaît, mais porte une nouvelle signification. Ce qui était un traumatisme se transforme alors en un moyen de la commémorer.
Dans ce monde, sa mère très jeune et en mesure de maîtriser le feu sauve Mahito à plusieurs reprises, transformant l’image des flammes destructrices en flammes chaleureuses et réconfortantes. Ainsi, avec une imagerie à la fois belle, mais grotesque et des thèmes parfois sombres, mais édulcorés par des scènes hautes en couleur, Miyazaki suggère-t-il que la mort peut être perçue comme le commencement de quelque chose de nouveau ? Que puisqu’elle est inévitable, elle doit être acceptée et ne plus être vue comme un drame ? La fin du long métrage, qui peut paraître abrupte pour certains, laisse ces questionnements ouverts. En somme, un film qui nous ouvre la voie vers nos propres réponses…
L'article
Le Garçon et le Héron
Sans transcender ses précédents travaux, Le Garçon et le Héron d’Hayao Miyazaki nous livre une expérience contemplative remarquable, caractérisée par une très belle animation et une direction artistique aussi bien envoûtante qu’ingénieuse. Bien que le développement des personnages et le rythme figurent les deux gros points faibles du long métrage, rendant difficile d’établir une connexion avec la plupart des acteurs du récit et de bien saisir la nature du monde parallèle où atterrit Mahito, les thèmes et messages véhiculés nous permettent de rester engagés dans une histoire agréable et plaisante à suivre.
Avantages
- Une histoire très prenante à suivre...
- Une direction artistique maîtrisée de A à Z.
- Des musiques qui subliment les décors.
- La question de la mort puis du deuil habilement abordée.
Inconvénients
- ... mais inégale dans son rythme et sa narration.
- Des personnages secondaires peu exploités.
- Un film qui n'innove pas vraiment comparé aux autres travaux de Miyazaki.