MAPPA s’est rapidement imposé parmi les studios d’animations les plus connus de l’industrie japonaise, mais les coulisses houleuses de son succès sont exposées au grand jour.
MAPPA est un jeune studio d’animation crée le 14 juin 2011 par le producteur d’animé Masao Maruyama, alors qu’il venait de quitter le studio Madhouse (Hunter x Hunter 2011, Parasite, Death Note). Ce dernier l’a fondé pour pouvoir produire des œuvres qui le passionnent, orientant donc le studio vers une vision qualitative des projets sélectionnés. Derrière son incroyable ascension jusqu’au top de l’industrie de l’animation se trouve un homme à la vision avant-gardiste du secteur : Manabu Otsuka.
MAPPA et ses premiers pas vers le succès
L’arrivée de Manabu Otsuka en tant que second président de MAPPA (2016) en succédant à Masao Maruyama devenu président de l’entreprise a marqué un tournant. Ce dernier a démarré l’élaboration d’une stratégie afin de propulser le studio à un niveau supérieur. En effet, Otsuka était conscient que la qualité seule de leurs productions ne suffisait pas à assurer un succès assez grand pour positionner MAPPA parmi les studios de premier rang. Dans cette optique de s’engager dans une course au titre de meilleur studio, il détaille le constat qu’il avait fait de l’entreprise au micro du média Natalie.mu :
« Il est très difficile d’atteindre la qualité de Kyoto Animation et d’Ufotable en peu de temps, et essayer d’y parvenir en 20 ou 30 ans aurait été trop lent pour MAPPA. Par conséquent, nous devions adopter une approche différente de celle des studios qui étaient devant nous ».
La stratégie de Manabu Otsuka pour répondre à ce défi était claire : augmenter la productivité du studio tout en proposant des animés de qualité. C’est une perspective qu’il révèle avoir envisagé avant même de devenir dirigeant du studio, développée dès 2014, alors que MAPPA achevait les œuvres Terror in Resonance ou encore Shingeki no Bahamut : Genesis. Après une phase de transition alimentée « d’essais et d’erreurs » qui a notamment vu naître Punch Line, Ushio & Tora ou encore Garo – Guren no Tsuki, c’est bien en 2016 que le studio parvient à se créer une place de choix au sein de l’industrie de l’animation.
Ceci, d’abord grâce au succès de la série animée originale Yuri on Ice de Mitsuro Kubo et Sayo Yamamoto. Mais, c’est surtout le film d’animation Dans un recoin de ce monde qui a permis au studio de se construire une belle réputation dans le milieu, grâce aux prix d’animation qu’ils ont gagnés. Malgré tout, Manabu Otsuka reste mesuré et dévoile avoir eu des inquiétudes face au succès précoce de MAPPA seulement 5 ans après sa création. En effet, il déclare avoir senti « beaucoup de pression » sur le studio pour « produire des résultats similaires par la suite ».
Grosse productivité, grosse prise de risque
À partir de 2017, MAPPA entre dans son âge d’or et renforce sa position dans le monde de l’animation. Le tout, en suivant la stratégie ambitieuse de Manabu Otsuka de produire une série d’animés à la chaîne tout en maintenant une qualité haut de gamme. Le studio qui était à l’origine sur un rythme de 2,2 productions par an de 2012 à 2016 (11 en tout) a vu sa productivité s’accélérer sous l’impulsion d’Otsuka avec une augmentation impressionnante de 136,6%, soit une moyenne de 5,2 productions annuelles de 2017 à 2021 (26 en tout) !
Cette grosse période de travail pour MAPPA a été marquée par des projets phares comme l’adaptation animée de Jujutsu Kaisen en 2020, ainsi que la reprise de la saison finale de Shingeki no Kyojin (L’Attaque des Titans) la même année, à la suite du retrait de Wit Studio de la production due à un calendrier surchargé. Leur collaboration avec Netflix pour la série d’animation Yasuke en 2021 a également été un temps fort du studio. À ce stade, il était devenu impossible pour un amateur d’animé de ne pas avoir entendu parler de MAPPA, rendant le studio gravé au sein du paysage de l’animation japonaise.
En parallèle, Manabu Otsuka envisageait déjà l’avenir de MAPPA en termes de viabilité commerciale. En effet, malgré une augmentation de la productivité, les revenus du studio étaient jugés trop faibles par le dirigeant. Ce dernier note que « les bénéficies du studio était relativement minime par rapport à l’ampleur commerciale des projets ». En réponse à cette problématique, MAPPA décide d’innover en cherchant un moyen de sortir de sa condition de sous-traitant. Pour rappel, le système est articulé de manière que les studios d’animation produisent des œuvres pour des clients détenant les droits. Ce sont donc bien ces mêmes clients qui gagnent la majorité des profits. Mais Manabu Otsuka ne l’entend plus de cette oreille :
« Jusqu’à présent, j’étais considéré comme plutôt jeune dans l’industrie, donc je me suis laissé entraîner par une sorte de tradition ou une tendance à suivre les autres en pensant « c’est ainsi que les choses se font ». Mais si on continue avec l’attitude du « on ne peut rien y faire », rien ne change jamais ».
Cet état d’esprit s’est matérialisé par la décision de MAPPA de financer à 100% la production de l’animé Chainsaw Man (2022). En faisant cela, MAPPA entend avoir un meilleur contrôle sur ses créations, tout en s’assurant que la majorité des revenus revienne au studio. Force est de constater que ce risque a été payant, dans la mesure où Chainsaw Man connaît un succès retentissant aussi bien au Japon qu’à l’international. Cette initiative ouvre sûrement la voie à de nouvelles opérations de ce style dans l’industrie de l’animation japonaise. Bien que la situation sourie au studio, des problèmes en interne concernant les animateurs commencent à se manifester en coulisses…
Un enchaînement de projets problématique
La folle montée en puissance de MAPPA a dévoilé ses contreparties, à commencer par son calendrier de production beaucoup trop exigeant. Un exemple frappant a été la production du film Jujutsu Kaisen 0 sorti en décembre 2022, soit peu de temps après la fin de la diffusion de la première saison de Jujutsu Kaisen en mars de la même année. Ce qui signifie que la production du film n’a duré que quatre mois, imposant un rythme de travail intensif aux équipes impliquées.
Cet épisode de mauvais augure pour l’avenir est visiblement resté dans l’esprit des animateurs du studio. Effectivement, l’animateur des épisodes 14 et 16 de la saison de Jujutsu Kaisen, Sota Shigetsugu, a laissé entendre dans un tweet que cette tendance à la surcharge de travail par les dirigeants du studio a débuté lorsqu’ils ont vu les équipes réaliser cet exploit :
« Le pire cycle est celui où tous les membres du personnel parviennent d’une manière ou d’une autre à respecter un calendrier qu’il serait impossible de respecter dans des circonstances normales, tout en vivant un enfer, et les supérieurs qui n’ont vu que les résultats se méprennent et ne se remettent pas en question. […] Je suppose que tout cela a commencé quand nous avons terminé un film en quatre mois… »
De plus, la plupart des créatifs qui ont travaillé sur la première saison de Jujutsu Kaisen en mars 2022 ont été immédiatement réaffectés à la production de Chainsaw Man diffusé en octobre 2022. Étant donné qu’il est à 100% financé par MAPPA, c’est le studio qui a décidé de cette date et non un comité de production. Ainsi, les dirigeants ont imposé un laps de temps toujours aussi court pour produire pas moins de 12 épisodes, d’autant plus que ces mêmes personnes ont dû enchaîner sur la production des 20 épisodes riches en action de la saison 2 de Jujutsu Kaisen, avec moins d’un an de manœuvre. Ces conditions de travail extrêmes ont favorisé la culture du crunch, c’est-à-dire faire des heures supplémentaires excessives pour terminer un projet, débouchant sur des épisodes qui ne se sont achevés que quelques jours avant leur diffusion.
Les animateurs craquent et sortent du silence
Tout au long de la diffusion de la saison 2 de Jujutsu Kaisen, nous avons pu voir que certains créatifs impliqués dans l’animé exprimaient ouvertement leurs plaintes et critiquaient leurs conditions de travail. Le 26 octobre 2023, à la suite de la diffusion de l’épisode 14 marqué par une séquence controversée, Hokuto S., l’animateur responsable, a exprimé publiquement toute sa frustration. Il s’est excusé pour n’avoir pas pu achever les « 250 coupes en seulement deux semaines », soulignant ainsi l’énormité de la charge de travail, et a par la suite déploré la « pénurie de personnel » qui accable le monde de l’animation.
De son côté le réalisateur de l’épisode 16, Itsuki Tsuchigami, déclare être heureux, mais aussi mitigé par rapport aux messages de félicitations qu’il reçoit, dans la mesure où ils sont au nom du studio MAPPA qui fourni des conditions de travail déplorable malgré leur implication. De plus, il aborde la question des salaires jugés insuffisants à la vue de la charge de travail imposée à lui et à ses collègues, d’autant plus que dès 2021 le problème s’était posé avec leur rémunération sur le projet Yasuke de Netflix :
« Quand je pense à l’ampleur du travail en fonction de la quantité de réactions, je me rends compte qu’il s’agit véritablement d’un projet à grande échelle. Mais, il est décourageant que la rémunération pour le travail ne soit pas exceptionnelle par rapport à d’autres, mais qu’elle soit plutôt un montant relativement insuffisant compte tenu du poste ».
De là, les déclarations se succèdent. Shunsuke Ohkubo, réalisateur de l’épisode 12, a partagé une illustration représentant une femme avec une corde autour du cou suggérant qu’il est épuisé face à la situation actuelle. De son côté, Hakuyu Go a ouvertement encouragé les employés de MAPPA à quitter le studio et à « jeter leur carte d’accès à la poubelle en partant ». Enfin, Satoshi Sakai, directeur d’animation et participant à la production de L’Attaque des Titans, a exprimé sa sympathie envers les animateurs contraints au silence face à des conditions de travail extrêmes. Ces témoignages révèlent la réalité alarmante de cette industrie.
Le cas de MAPPA est loin d’être isolé
La situation de MAPPA reflète un problème systémique au sein de l’industrie de l’animation japonaise. En avril 2019, Madhouse avait déjà suscité l’indignation après qu’un de leur assistant de production a été hospitalisé à la suite d’un surmenage extrême, avant de demander une compensation financière pour ses heures de travail supplémentaires non payées. Des studios tels que Toei Animation ont également été épinglés (avril 2022), pour des cas où des employés travaillant jusqu’à 13 heures par jour ou plus n’ont pas été rémunérés.
Plus récemment, c’était Studio M2 et son animé Pluto (octobre 2023) qui avait l’objet d’une controverse. Effectivement, la production disponible sur Netflix avait provoqué la frustration d’un animateur indépendant sur le projet, censé travailler sur les FX 2D de l’œuvre (effets visuels). C’est avec une mauvaise surprise qu’il découvrait que la plupart des plans sur lesquels il avait travaillé avaient été remplacés par de la CGI (effets spéciaux numériques), le tout sans qu’il en ait été informé au préalable. Un problème dans la mesure où il a dû refuser de multiples projets en parallèle afin de se consacrer à celui-ci, témoignant du manque de considération de certains studios envers le travail des animateurs.
Vous l’aurez compris, il est malheureusement monnaie courante dans cette industrie de l’animation d’avoir affaire à ce genre de cas. La situation de MAPPA n’est donc pas une exception. Elle met plutôt en évidence les défis auxquels les employés de l’industrie sont confrontés : des délais irréalistes, une surcharge de travail constante et une rémunération souvent insuffisante. Avec la libération de la parole de la part des animateurs et un message qui atteint le public étranger, peuvent-ils espérer une réaction positive de la part des studios ? Malgré une animation de haut niveau, c’est bien à une saison 2 de Jujutsu Kaisen tenue à bout de bras par des animateurs surexploités et épuisés à laquelle nous assistons…
L’industrie de l’animation japonaise a plus que jamais besoin d’établir de nouveaux standards afin de préserver la santé de ses acteurs. Il reste à voir si MAPPA prendra les mesures adéquates à la suite de cette exposition au grand jour.