Alors que son adaptation live action est en route, jetons un regard critique sur le comic Spider-Man Noir : Les Illusions Perdues qui sert de matériel de base pour le projet de Sony Pictures Television et Amazon.
Le Spider-Verse de Sony n’a pas eu ses débuts rêvés au cinéma, entre une duologie Venom peu convaincante, un Morbius très décrié et une Madame Web qui n’a suscitée (au mieux) que de l’indifférence. En attendant de voir si l’enchainement de Venom: The Last Dance (25 octobre 2024) et de Kraven Le Chasseur (11 décembre 2024) mettra l’univers cinématographique sur les bons rails, Sony compte bien donner un meilleur départ à son monde du petit écran avec le projet Spider-Man Noir, qui sera diffusé à l’international sur Amazon Prime Video.
Ce dernier s’inspire de l’épisode Les Illusions Perdues du comic éponyme de 2009, scénarisé par Fabrice Sapolsky et David Hine et dessiné par Carmine Di Giandomenico. Le tout, pour nous faire le récit d’un détective privé des années 30 dans la ville de New York, luttant avec son passé de super-héros. Nicolas Cage, qui double la version plus enjouée de Spider-Man Noir dans Spider-Man: Into the Spider-Verse, est d’ailleurs en discussion pour être dans le rôle principal, comme il le dévoile dans une interview accordée au média Collider :
« Je peux effectivement vous dire que nous en avons parlé. Ce n’est un secret pour personne : j’aime ce personnage. Je pense qu’il résulte d’un bon mélange. Il me permet de combiner certaines de mes performances préférées de l’âge d’or du cinéma, à savoir Robinson, Cagney, Bogart, avec un personnage qui représente le chef-d’œuvre de Stan Lee (Spider-Man). […] Mais rien n’a encore été signé. C’est juste une conversation. »
- Ainsi, que vaut le matériel original sur lequel Sony Pictures Television et Amazon se basent ? Quelques éléments de réponses dans cette critique.
Spider-Man Noir ou une esthétique séduisante
Le premier élément qui rend Spider-Man Noir attrayant et aussi agréable à lire est son esthétique. Cette dernière reflète fidèlement la période historique à laquelle l’œuvre appartient : la Grande Dépression. Pour rappel, cet événement est causé par le krach boursier américain de 1929, causant une crise économique mondiale sans précédent. En conséquence, nous nous retrouvons dans une ville de New-York aux antipodes de celle du Spider-Man classique, avec la misère, la pauvreté et la violence à chaque coin de rue. Cette période prend fin en 1939, l’année où démarre la fameuse Seconde Guerre Mondiale (1939 – 1945).
Carmine Di Giandomenico a pu exprimer son talent dans ce contexte, et son style vintage sert parfaitement l’atmosphère du comic. Les tons sombres prédominants renforcent la sensation de mystère et de tension, tandis que des couleurs vives (surtout le rouge) sont utilisées pour souligner les moments clés de l’intrigue, ajoutant de la puissance à certaines scènes. Les décors urbains ne sont pas en reste : l’architecture reflète l’ambiance des films noirs classiques, avec des jeux d’ombre et de lumière qui apportent profondeur et réalisme.
Il y a un réel effort pour donner un aspect cinématographique aux dessins. Nous le voyons aux effets de perspectives choisis et aux plans rapprochés, qui accentuent des visages marqués par les circonstances. Les séquences de combats, fluides et fidèles à l’homme araignée avec une bonne dose de violence, bénéficient du séquençage dynamique de Di Giandomenico. En revanche, cet élément agréable sur des doubles pages devient vite confus dans des cases plus petites, où Spider-Man effectue ses acrobaties durant ses trajets.
Cette esthétique cinématographique passe finalement par les costumes. Celui de Spider-Man Noir, composé de l’ancienne tenue de pilote de son oncle Ben, lui confère une allure sombre et brutale, parfaitement adaptée au genre noir et à l’époque sombre de la Grande Dépression. D’un autre côté, Felicia arbore des robes élégantes et de la fourrure typiques de cette période. Enfin, les antagonistes sont représentés dans des tenues reflétant l’élégance des gangsters des années 30. Tous les éléments graphiques sont présents pour une lecture immersive.
Une réinterprétation intelligente de Peter Parker
Ce Peter Parker qui nous est présenté est profondément en colère face à la situation qui se déroule sous ses yeux. Contrairement à l’original, qui doit assumer ses responsabilités après avoir acquis ses pouvoirs, ce Spider-Man se retrouve dans l’incapacité de prendre les responsabilités qu’il souhaite assumer par manque de pouvoir, à savoir mettre fin à la corruption et à tout un système qui accable les plus démunis.
Cette frustration est accentuée par l’engagement politique de sa tante May et de son oncle Ben, tous deux militants socialistes œuvrant pour améliorer la situation des New-Yorkais victimes de la crise économique. Dès le début, May prend la parole en faveur d’une réforme économique radicale, tandis que Ben se retrouve dans le collimateur des hommes de Norman Osborn pour avoir défendu les droits des travailleurs, ce qui lui coûte la vie.
La détermination de Peter à aider la ville est donc étroitement liée à un enjeu politique, qui cible le capitalisme et les injustices flagrantes qu’elle cause. Les événements tragiques auxquels il assiste; durant son passage en tant que photographe au Daily Bugle, renforcent ses convictions socialistes. Nous le voyons avec le cas des incendies intentionnels provoqués par des criminels pour toucher l’argent de l’assurance, ou encore les suicides laissant des familles endeuillées à cause de dettes trop lourdes à éponger dû au chômage.
Lorsque Peter Parker acquiert ses pouvoirs, ceux-ci deviennent-ils un instrument de vengeance personnelle vis-à-vis de l’assassinat de son oncle Ben ? Pas totalement. L’araignée mystique qui lui accorde ses pouvoirs déclare qu’il en a hérité car il est quelqu’un de bon, ce qui implique qu’il les utilisera pour des causes bien plus nobles que celle d’une simple vengeance. Cependant, la capacité emblématique des Spider-Men à produire des toiles est loin d’être aussi centrale dans le panel de compétences de ce Spider-Man, ce qui est révélateur.
En effet, ce dernier ne peut pas se balancer à travers la ville avec. Il les utilises principalement pour maîtriser les criminels. Nous pourrions y voir un symbole de sa bonté qu’il tient de sa Tante May, qui ne souhaite pas vivre dans un monde où les gens « s’entretuent comme des animaux » car selon elle « on n’est rien sans lois, sans morale ». De cette manière, le fait qu’il ne fasse pas de cet outil l’option principale pour combattre le crime, à l’instar du Spider-Man original, soulève l’ambiguïté morale qui habite cette version de Peter.
Eh oui, désormais son arme de prédilection devient le revolver de son oncle, symbole de justice personnelle. Cela devient le cas dès lors qu’il abat le Vautour, suite sa tentative de kidnapping de sa tante May sur ordre de Norman Osborn. Ainsi, Peter entend bien utiliser cet instrument pour rétablir un semblant d’ordre dans ce monde corrompu, tout en se défendant contre ce même système en utilisant leurs propres méthodes. Pour cette version de l’homme araignée, seul la mort est la solution pour arrêter certains individus.
Cette dualité entre la violence nécessaire pour éradiquer le mal avec le revolver, et la conviction du Spider-Man classique qui n’ôte pas la vie mais livre les coupables à la justice grâce à ses toiles, offre une perspective fascinante sur le personnage. Tout comme le protagoniste du film noir, Peter a ses qualités mais aussi ses défauts dans son rôle de superhéros. En refusant d’abandonner son revolver à sa tante, Peter se laisse donc l’option d’appliquer sa justice vengeresse s’il estime que c’est la meilleure option.
Une narration maîtrisée qui souffre de son format
La structure narrative mise en place par Fabrice Sapolsky et David Hine brille par son utilisation des codes du film noir. Deux des éléments emblématiques du genre sont le flashback et le flashforward, utilisés pour créer du mystère et de la tension. Dans ce comic, le second est exploité dès les premières pages : on y découvre un Spider-Man, revolver à la main, en face d’un Jay Jonah Jameson mort sur son bureau. Cette scène intrigue immédiatement le lecteur et soulève des questions cruciales : quels événements ont conduit à cette situation ? Comment Peter Parker s’est-il retrouvé en position de suspect ? Cette entame permet de nous plonger d’emblée dans ce qui s’annonce être une enquête complexe, fidèle à l’esprit du film noir.
Les notions de psyché des personnages et d’introspection sont également clés dans ce genre. Ces dernières sont mises en valeur par l’utilisation de la voix off. À l’instar des films noirs où elle révèle les conflits intérieurs des protagonistes, les cases rectangulaires du comic présentent les tourments intérieurs du journaliste Ben Ulrich depuis sa rencontre avec Peter durant l’enquête. Une transition symbolique s’opère lorsque, après un événement clé de l’intrigue, Peter prend le relais en tant que protagoniste. Il devient alors le narrateur principal et partage à son tour ses réflexions et émotions, un bon point pour l’histoire et l’immersion dans le genre.
En parallèle, le récit présente les différents archétypes du film noir revisités à la sauce Spider-Man. Ainsi, Peter Parker et Ben Ulrich incarnent le détective cynique, sujets à l’ambiguïté morale caractéristique du genre. Nous trouvons ensuite la figure de la femme fatale en Felicia Hardy (Black Cat), un personnage qui refuse de se laisser marcher sur les pieds et qui joue un rôle central dans un triangle amoureux clé. Enfin, le thème récurrent de la lutte contre la corruption d’un système à réformer propre au film noir trouve sa place dans cette histoire avec celui du Bouffon. Une dimension personnelle s’y ajoute avec le lien entre Peter et son oncle qui en est la victime.
Malgré une histoire maîtrisée et qui a du sens, nous voyons bien que le format limité de cette série de quatre volumes a freiné le développement d’un récit d’enquête plus approfondie. En effet, la quasi-totalité de l’enquête principale concernant l’homme à faire tomber, Norman Osborn, a déjà était effectuée en amont. Ainsi, malgré les mystères et rebondissements, ce Spider-Man n’a pas suffisamment l’occasion de prouver ses compétences d’enquêteur pour être vu comme tel aux yeux des lecteurs. Résultat : le potentiel narratif de Peter Parker en tant que détective est beaucoup trop sous-exploité pour un comic qui porte le genre « noir » dans son titre.
L'article
Spider-Man Noir : Les Illusions Perdues
Spider-Man Noir: Les Illusions Perdues vaut définitivement le détour. Son esthétique fidèle à la période de la Grande Dépression, avec des illustrations sombres et des décors urbains qui rappellent les films noirs classiques, est mise en valeur par le style réaliste de Carmine Di Giandomenico. Tandis que la réinterprétation de Peter Parker en un détective en colère et politiquement engagé apporte une profondeur intéressante au personnage, notamment à travers ses luttes contre la corruption et les injustices de son époque, la narration souffre de son format (seulement quatre numéros) qui empêche un meilleur développement de l'enquête et des compétences de détective de ce Spider-Man : un comble pour ce concept.
Avantages
- Un style visuel cinématographique très séduisant.
- Un séquençage des scènes d'actions dynamique...
- Une version de Peter Parker rafraîchissante.
- Les tropes du genre noir bien intégrés à l'histoire de Spider-Man.
- Un cadre spatio-temporel très bien exploité.
Inconvénients
- Un Spider-Man détective qui n'a pas l'occasion de montrer tout son talent.
- ... mais, qui montre ses limites dans des cases plus petites.
- Une aventure visiblement trop ambitieuse pour son format.