Alors que The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom brille au sein de la communauté gaming par ses nouvelles mécaniques de gameplay innovantes et ses zones célestes puis souterraines inédites à explorer, nous vous proposons de revenir sur l’univers de son prédécesseur, Breath of the Wild.
Le 3 mars 2017, Nintendo a marqué un tournant décisif dans l’avenir de la saga emblématique The Legend of Zelda. En effet, The Legend of Zelda: Breath of the Wild se distingue de ses prédécesseurs en repoussant les limites de l’exploration. Dans ce monde ouvert, chaque surface est escaladable et la sensation de contrainte est presque inexistante. Le concept du jeu est simple : vaincre Ganon le Fléau et sauver Zelda. À partir de là, le joueur est livré à lui-même afin d’expérimenter le jeu à sa manière. Cette approche a permis à Breath of the Wild d’être couronné GOTY 2017 aux Games Awards. Au fil du jeu, nous pouvons constater que l’opus entretient des liens étroits avec la notion de médiévalisme. L’occasion de les mettre en lumière avec cinq points clés.
L’iconogramme incarné par Link
Link est le célèbre protagoniste de la saga The Legend of Zelda et de l’opus que nous étudions Breath of The Wild. Ce dernier incarne l’idéal chevaleresque de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, qui servait de modèle à suivre dans les Publics Schools de l’époque à Londres quant aux comportements à adopter afin d’être digne d’un chevalier. En analysant l’apparence du protagoniste sur la jaquette du jeu, nous pouvons faire plusieurs parallèles avec la gravure de George Frédéric Watts, « Sir Galahad » (1862). Une comparaison pertinente dans la mesure où cette œuvre personnifie le modèle de vertu par excellence à suivre pour la jeunesse bourgeoise de l’époque victorienne.
Trois valeurs principales relient les deux éléments, à commencer par le symbole de l’homme guerrier. Bien qu’il ne porte pas d’armure et ne figure pas avec une monture comme Galahad — chevalier de la Table ronde qui s’est illustré dans sa quête du Graal — nous pouvons observer Link avec son épée, son bouclier et son arc qui renvoient à cette dimension. Tout comme le premier qui est prêt à se battre pour la vertu et l’honneur, le second l’est pour contrer les forces du mal.
L’une des raisons de ce choix pourrait résider dans les intentions du créateur du jeu, Eiji Aonuma. Pour lui, l’équipement ne fait pas le chevalier, mais ses actes. Les armures et les chevaux deviennent donc de simples outils bonus et surtout éphémère. En effet, nous devons régulièrement changer d’équipement en fonction de la zone où nous nous trouvons. Tandis que notre caractère chevaleresque se démarque par nos aventures dans les temples. Ces endroits disséminés partout sur la carte doivent d’abord être activés. Une fois à l’intérieur, nous sommes soumis à différentes épreuves (puzzles ou combats). Après avoir réussi, nous sommes récompensés par un emblème du triomphe, qui témoigne de notre courage et de notre esprit héroïque. Ainsi, l’homme guerrier dans les deux cas se distingue par son équipement et surtout par ses actes.
Au-delà de l’aspect guerrier, nous devons considérer la manière dont se porte Link, ainsi que l’expression de son visage. Comme Galahad, il arbore la sérénité et le calme. Pour le premier, cette expression vient d’un stoïcisme associé aux classes anglaises supérieures pour contraster avec les classes inférieures et les colonies. Mais en ce qui concerne Link, son stoïcisme est au service de l’expérience de jeu. Bien qu’il en soit le héros, il demeure le seul personnage à ne pas avoir de voix. Dans les cinématiques, cela a pour effet de le rendre aussi bien énigmatique que neutre. Le tout, pour améliorer notre immersion dans le jeu et nous plonger dans les dialogues : faire de lui une feuille blanche pour transposer notre être en lui.
Pour terminer, l’élément qui domine la couverture de The Legend of Zelda: Breath of the Wild est bien évidemment la nature. En concevant ce paysage forestier autour de Galahad, George Frédéric Watts voulait représenter un chevalier ayant dominé ses passions. Ce dernier s’affranchit de tout plaisir afin de se consacrer à la quête du Graal. La nature est donc un moyen de mettre en exergue la raison de Galahad. Avec son personnage Link, mis en scène en pleine nature, Eiji Aonuma a pour ambition de retranscrire un sentiment personnel : la sensation de découverte.
« J’allais au sommet d’une montagne, au loin je voyais la Mer du Japon. Et ça me faisait toujours un effet absolument incroyable. C’est ce genre de sentiment que j’ai voulu retranscrire quand vous grimpez au sommet d’un mont dans Zelda. Que vous voyiez l’immense carte du jeu, et que vous voyiez tout ce qui vous attend ».
CHIEZE Julien, Rencontre avec Eiji Aonuma : Zelda Breath of the Wild, Nintendo Switch, VR, les joueurs…, Gameblog, 2017.
En fin de compte, Link symbolise parfaitement les facettes de la chevalerie. Toutefois, à l’instar de Galahad, il les incarne dans le cadre spécifique d’un jeu vidéo, ce qui justifie certaines mécaniques de gameplay.
La symbolique du château d’Hyrule
Pour un chevalier aussi vertueux que Link comme protagoniste, il est tout à fait naturel que son ennemi ultime, Ganon le Fléau, soit l’incarnation même du mal. Avec un témoin principal de cette dualité : le château d’Hyrule. En fonction du parti gagnant, nous constatons que l’édifice matérialise un type différent de médiévalisme. Ce télescopage est au centre des thématiques du jeu, à l’image de son emplacement sur la map. L’aura ténébreuse de Ganon nous situe par rapport à lui à peu près à n’importe quel endroit en hauteur de la carte. De la même manière que cet endroit figure le lieu clé nous permettant de nous approprier la géographie du jeu, elle symbolise également la dualité centrale entre Ganon et le Royaume d’Hyrule (Link). À savoir, un duel entre le médiévalisme sombre et le médiévalisme doré.
Pour mieux cerner cette dualité, nous devons nous intéresser à la genèse de The Legend of Zelda: Breath of the Wild. La civilisation du Royaume d’Hyrule est à son apogée, aussi bien dans son équilibre que dans ses recherches. Cette belle période pour Hyrule est à mettre en relation avec l’Antiquité. Dans notre conception commune de cette phase historique, cette dernière représente la maîtrise, l’ordre, la raison.
À l’image de l’Empire romain, Hyrule connaît sa « Pax Romana ». L’iconogramme auquel nous renvoie le château d’Hyrule est positif. Son côté médiéval est tout de suite associé à un médiévalisme doré. Ce qui nous réfère alors à la nature qui domine le jeu, à l’enfance, mais surtout au concept de « Magical Kingdom ». Un Royaume idyllique qui accueille princes, princesses et chevalier en son sein, un endroit où tout va bien. Le ciel bleu et ensoleillé, renvoie une lumière de modernité et d’onirisme au décor : une sorte de Camelot à préserver.
Néanmoins, le peuple est conscient que le destin liant Ganon le Fléau à leur Royaume est si étroit qu’il fera sûrement son réveil un jour ou l’autre, perturbant cette imagerie féerique. Ainsi, nous assistons à une énorme vague de progrès technologique afin de prévenir la catastrophe à venir. Et quelque part, à un certain retour à la réalité quant à la situation. Notamment en éveillant les quatre bêtes divines (des armes de guerre à l’apparence animale) et les gardiens (une armée de machines tentaculaires au service du Royaume).
Lors de la grande bataille, 100 ans avant le début de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, Ganon parvient à retourner ces machines contre le Royaume. À partir du moment où il s’accapare le château, toute son imagerie idyllique meurt. La rancœur de la calamité prend la forme d’une aura aux couleurs noires et rouge sang, avec des particules de même couleur gravitant autour du château. Nous comprenons dès lors que l’édifice n’est plus le miroir d’un médiévalisme doré, mais d’un médiévalisme très sombre.
Le château inspire désormais la sauvagerie et la violence. Ses alentours sont remplis de carcasses de gardiens d’il y a 100 ans. En plus de cela, la nature autour de la zone est totalement ravagée pour laisser place à un vestige de champ de bataille. Les arbres et l’herbe ont partiellement disparu au profit d’impacts et de traces de combat. L’atmosphère est lourde et ténébreuse, en phase avec l’obscurantisme associé au Moyen Âge face à la lumière moderne et féerique du Royaume d’Hyrule à son apogée. Cet édifice, utilisé à la fois comme demeure d’un mal venant des temps anciens et comme lieu exprimant l’ordre et la raison, montre bien le caractère variable de cet objet médiéval. Le château d’Hyrule, au de-là de sa dimension esthétique, abrite un propos et une symbolique qui évolue selon le contexte dans lequel nous le contemplons.
La condition de la princesse Zelda
Avec un chevalier vertueux et le mal incarné d’un côté, il manque une princesse pour compléter le tableau. Cette dernière est représentée par Zelda. Un personnage qui, sous un œil médiévaliste, est aussi bien révélateur de l’époque à laquelle elle appartient que de notre époque actuelle. Effectivement, cette dernière compile deux facettes de la femme intéressantes à considérer. Tout d’abord, il faut savoir que la femme du Moyen Âge est associée à un homme tout au long de sa vie.
« On voit d’ailleurs dans les sources qu’elle est, soit citée par rapport à son père lorsqu’elle n’est pas mariée, ce qui suppose également, bien sûr, qu’elle soit vierge, soit par rapport à son mari une fois qu’elle est mariée. Et lorsqu’elle devient veuve, elle est présentée par rapport à son mari si elle s’est remariée, mais également par rapport à ses précédents maris ».
PILORGET Julia, Les femmes au Moyen Âge, loin des idées reçues, France Culture, 2016.
La femme n’est là que pour louer l’action de l’homme, et figure comme prix à gagner si une rivalité entre deux hommes survient. Cette dimension se prolonge jusqu’à l’époque victorienne, où en plus de retourner au Moyen Âge pour s’opposer aux idées progressistes qui émergent, érigent comme modèle les chevaliers de la Table ronde pour se mettre en valeur. La vision de la femme est donc en proie à un rétropédalage, où elle est censée rester chez elle et ne pas suivre ses désirs. Dans une certaine mesure, Zelda est condamnée à incarner cette idée.
Dès le début de l’histoire, seule sa voix est présente afin de guider Link, tandis que le chevalier doit vivre son aventure et repêcher ses souvenirs. Elle n’est que le témoin des exploits du joueur tout au long de l’expérience de jeu. Zelda figure également l’enjeu principal du joueur, à savoir la délivrer de Ganon. Nous y retrouvons une référence à l’image de la demoiselle en détresse, qui correspond à celle de la femme médiévale.
Un autre aspect qui montre que Zelda incarne partiellement la femme des temps médiévaux, sa proximité avec la religion. Le Moyen Âge est très marqué par le christianisme. Ainsi, les femmes avaient l’occasion de s’adonner à une vie religieuse. Si pour une part d’entre elles il s’agissait d’une vocation et d’un choix, pour d’autres comme Zelda il s’agit d’une décision de leur père. Le roi Rhoam Bospheramus Hyrule, père de Zelda, considère que la solution pour éradiquer Ganon se trouve dans la prière. Ainsi, il forme et envoie Zelda prier sur les sources du courage, de puissance et de sagesse en espérant qu’elles éveillent ses pouvoirs.
Le Roi fait bien comprendre à sa fille qu’il en est de son devoir en tant que princesse de n’avoir d’yeux que pour cette mission. Or, pour Zelda, la solution réside en l’étude approfondie des gardiens et des bêtes divines pour optimiser leur efficacité. Nous comprenons qu’elle cherche à sortir de sa condition de femme médiévale en s’émancipant par le savoir. C’est pour cela que son pouvoir ne s’est pas manifesté tout ce temps, car s’il l’avait fait il aurait confirmé un statut de femme médiévale. Le moment où ses prières lui confèreront leurs forces sont lorsqu’elle inversera la balance, en protégeant le chevalier Link pendant la bataille.
De cette manière, elle brise son image de femme dépendante de l’homme. Plus encore, elle en construit une nouvelle en devenant l’une des protagonistes de l’action du jeu. Que ce soit dans la genèse, où elle s’illustre en tant que rempart décisif en retenant Ganon dans son château durant tout un siècle, jusqu’au réveil de Link, ou bien dans l’épisode final, où elle nous assiste dans la seconde phase de l’ultime bataille face à Ganon le Fléau. Faisant d’elle plus qu’une simple princesse à secourir, mais une réelle actrice de la destinée de son Royaume.
Le propos sur la nature et la modernité
Revenons sur la genèse de The Legend of Zelda : Breath of the Wild, où nous sommes informés que le Royaume d’Hyrule vivait en pleine prospérité depuis plusieurs années, sans qu’aucune calamité ne bouleverse l’équilibre. Conscient de son destin étroitement lié à celui de Ganon, la civilisation d’Hyrule ayant atteint son apogée décide d’anticiper le moment où il reviendra. Ainsi, ils mettent la main sur les quatre bêtes divines, des machines de guerre technologique pilotées par les quatre prodiges accompagnés d’une armée de Gardiens, des machines tentaculaires ayant pour rôle de servir Hyrule. Malheureusement pour le Royaume, Ganon corrompt ces armes et les retourne contre ses créateurs. Ce qui lui permet de remporter la bataille, de s’emparer du château, et de tuer le Roi ainsi que les quatre prodiges. Les conséquences de cet épisode de l’histoire d’Hyrule cachent un sous-texte sur l’industrialisation croissante de nos jours.
Pour mettre sur pied cette imagerie destructrice de l’industrialisation, Eiji Aonuma trouve son inspiration dans une période historique précise : celle de la révolution industrielle. L’uniformité des gardiens, ainsi que leur autonomie et leur grand nombre, pourrait renvoyer au taylorisme de Frederick Winslow Taylor. Son constat, sur le contexte industriel de son époque, est semblable au constat que nous pourrions faire des attaques de Ganon au fil des siècles. Les deux éléments manquaient d’organisation et de discipline. Effectivement, Ganon se contentait de déchaîner sa rage en espérant battre le Royaume d’Hyrule, mais il échoue à chaque tentative avec cette méthode. Après s’être emparé des gardiens, il ajoute une dimension verticale à ses assauts en faisant une distinction entre ingénieur (lui, celui qui donne les directives) et les ouvriers (ses gardiens et bêtes divines, ceux qui exécutent). Cela est couplé à une dimension horizontale, où chaque machine a un rôle spécifique pour optimiser les chances de victoire.
Dans une attaque coordonnée, les gardiens ravagent les troupes au sol, les gardiens volants les soutiennent en annihilant les forces aériennes et les bêtes divines sont chargées de tuer les quatre prodiges. En somme, Eiji Aonuma nous présente une industrialisation de la menace qu’est Ganon. Paradoxalement, cette modernité que connaît Ganon est justement au service d’un retour à une imagerie du Moyen Âge sombre. À savoir, un Moyen Âge où la nature est dévastée, avec la présence de champs de bataille, à l’atmosphère lourde, voire nauséabonde.
Il serait intéressant de plonger dans la vie du créateur du jeu afin d’étudier et de mieux comprendre ce choix scénaristique. Né le 16 mars 1963, il passe son enfance à Nagano où une atmosphère naturelle règne encore aujourd’hui. C’est lorsqu’il entre dans le monde du travail qu’il emménage en ville, à Tokyo. Lors de la sortie de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, il se confie sur cette vie-là, et expliques en quoi cet épisode a influencé sa manière de voir les jeux vidéo. Notamment lors de la création de celui que nous étudions :
« Quand vous y avez été habitué, que vous avez vécu au cœur de la nature, et que vous ne l’avez plus, vous réalisez combien elle vous manque. Je me dis que c’est pour ça que j’en mets dans les jeux. Tout simplement, car quand je retourne à la campagne et que je vois les rivières, les lacs, les montagnes, je me rends compte que ça a toujours été là. Et que même si je n’y faisais pas autant attention avant, aujourd’hui je ressens un manque dans mon environnement ».
CHIEZE Julien, Rencontre avec Eiji Aonuma : Zelda Breath of the Wild, Nintendo Switch, VR, les joueurs…, Gameblog, 2017.
Cette conception de la relation entre la ville (industrialisme) et la campagne (nature) n’a cependant pas débouché sur une opposition manichéenne entre modernité et nature dans le jeu. Nous voyons cela avec les quatre bêtes divines. Ces machines sont de la même nature que l’armée de Ganon. Après avoir été corrompu par la calamité, le joueur aura le choix de les libérer afin de les avoir comme alliées pour la bataille finale. Nous constatons que contrairement aux gardiens uniformes de Ganon, les bêtes divines représentent un animal chacun, et sont associées à un élément naturel.
Le créateur du jeu allie la nature à la modernité pour la rendre plus puissante, la mettre en valeur et ainsi présenter un modèle sain entre les deux unités. En parvenant à vaincre Ganon et son armée de machine de guerre, nous constatons bien que la coexistence de la modernité et de la nature est bénéfique lorsque le premier soutient la seconde, au lieu de chercher à l’éclipser. La présence vacante de Ganon a créé une sorte de mise en alerte à Hyrule. On garde les pieds sur terre et au lieu de se laisser surprendre par un retour à l’Ancien Monde, on essaye de le prévenir en mobilisant la modernité pour se défendre et évoluer.
Mais le Royaume n’aurait-il pas trahi son médiévalisme doré en se modernisant ? Ce qui implique de renoncer à sa dimension onirique qu’elle représentait jusqu’alors ? Quelque part, nous pourrions nous demander s’il n’y aurait pas une volonté de dénoncer le camp d’Hyrule pour s’être engagé dans une course à l’armement afin d’enrayer Ganon. La morale résiderait donc dans la modération face à ces abus. Avec comme solution la nature et ses vertus, permettant d’atténuer le côté destructeur de l’industrialisation.
L’imagerie arthurienne omniprésente
Tout au long de son évolution, la saga The Legend of Zelda a su construire son identité propre dans le monde du jeu vidéo. Son univers si connu a puisé dans de nombreuses inspirations afin de mettre sur pieds le mythe de Zelda, l’une des principales étant le mythe arthurien. Un élément évident lorsque l’on compare la mythologie arthurienne et celle de Zelda est la présence de l’épée légendaire Master Sword, qui rappelle clairement Excalibur, l’épée du Roi Arthur. Dans le jeu, cette épée légendaire a subi les effets du temps. L’arme est envahie par la rouille et la souillure, tandis que son socle est en proie à la mousse de la forêt. Cette dernière attendant patiemment le retour de l’élu.
Une des mécaniques du jeu est au service de la valorisation de l’épée : celle de l’éphémérité de l’équipement. Les armes, les arcs et les boucliers ne sont pas des éléments définitifs. À force de les utiliser, ils peuvent se briser. Et la Master Sword, bien qu’elle soit indestructible par sa nature, est quand même en proie à être momentanément inutilisable si le joueur ne l’utilise pas à bon escient, accentuant la dimension mythique de l’objet et le rend d’autant plus précieux. Il y a également un aspect méritocratique. Certes la Master Sword nous est destinée, mais il faut la mériter à nouveau pour l’avoir. À savoir, compléter assez de temples afin de réunir les treize cœurs nécessaires pour retirer l’épée sans perdre la vie.
L’environnement enchanté dans lequel se trouve The Legend of Zelda : Breath of the Wild fait également écho à plusieurs aspects de la légende arthurienne. Eiji Aonuma a fait le choix de ne pas placer le jeu dans un contexte temporel précis en partie pour conserver la dimension mystérieuse et mythique du jeu. Naturellement, cet imaginaire hors du temps est alimenté par des lieux et personnages de ce registre. Les fontaines aux fées en sont un bon exemple. Il y en a quatre différentes reparties sur chaque zone du jeu, et en échange de matériaux spécifiques renforce vos armures. Nous observons clairement une référence à une figure du mythe arthurien, la fée Viviane plus connue sous le nom de la Dame du Lac. Tout comme elle, les fées des fontaines apparaissent dans une source d’eau, et sont représentées dans un décor forestier renvoyant à une image pure de leur statut.
Des références religieuses sont également présentes dans les deux mythes. Dès le début du XIXe siècle, Chateaubriand associe la cathédrale aux forêts, soit un éloge à la nature, comme le développe Tatiana Weber en abordant le chapitre Des églises gothiques :
« La nature elle-même semble confondre le temple gothique et la forêt. Les tours-clochers et les grands arbres se mêlent dans le paysage ».
WEBER Tatiana, Gothique et expérience du sacré : l’écho et la profondeur, Persée, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1996.
Les ruines du temple du temps, que nous rencontrons tôt dans le jeu, correspondent à cette imagerie en compilant édifice et nature. Dans la mesure où chez Arthur les chevaliers sont surtout chrétiens, Link se conforme à cet aspect religieux en priant sur l’autel du temple au début du jeu pour convertir ses emblèmes du triomphe en cœurs ou en endurance.
Le dernier parallèle entre le mythe arthurien et le mythe de Zelda concerne la quête d’Arthur et de ses chevaliers pour le Graal. Ces deux légendes incluent l’importance d’un artefact divin qui doit être recherché. Dans la saga The Legend of Zelda, il s’agit de la Triforce. Le Graal serait dans le château de Corbenic, qui est souvent décrit comme dans un autre monde. La Triforce, elle, se trouve dans le royaume sacré qui n’est d’autres que le miroir reflétant le cœur de la personne qui la recherche. En somme, les deux mythes nous présentent donc un lieu du domaine mystique, atteignable d’une manière mystique, afin d’atteindre l’objet de la quête.
En définitive, les diverses thématiques médiévales qui imprègnent The Legend of Zelda: Breath of the Wild, liée à l’expérience personnelle d’Eiji Aonuma, ont donné naissance à un univers captivant, rempli de symboles intéressants à considérer.