La version live-action de One Piece par Netflix sera diffusée le 31 août 2023. Cette adaptation couvre les six premiers arcs du manga. Avant de découvrir cette nouvelle facette de l’œuvre d’Eiichiro Oda, nous vous proposons de (re) parcourir son chapitre introductif : Romance Dawn, À l’Aube d’une Grande Aventure.
Lors de son exécution, Gold Roger consacre les derniers instants de sa vie au lancement de l’Âge d’Or de la piraterie : « Mon trésor ? Je vous le laisse si vous voulez. Trouvez-le ! Je l’ai laissé quelque part dans ce monde ! ». Ces fameuses paroles, de celui qui est considéré comme le Roi des Pirates, ont vivement agité les souffles de la destinée jusqu’à atteindre la mer d’East Blue. Plus précisément, l’île de Dawn où se situe le petit village de Fuchsia. Les multiples moulins, qui peuplent et font l’identité de cet endroit, ne se doutaient sûrement pas qu’ils feraient circuler cette bourrasque de l’avenir au visage d’un jeune garçon : Monkey D. Luffy…
Avant de se plonger concrètement dans l’analyse de ce chapitre, il serait pertinent de s’attarder plusieurs lignes sur le cadre qui entoure ce dernier. À commencer par son titre, Romance Dawn, qui nous éclaire d’emblée sur la nature de cette introduction. Le mot Dawn, en plus de renvoyer au nom de l’île sur lequel le village Fuchsia se trouve, est défini comme « L’heure de la journée où la lumière apparaît pour la première fois, synonyme du lever du jour ». Ce terme annonce bien le lieu d’une aventure naissante qui n’attend qu’à être débutée.
Mais, celui qui bénéficiera de plus d’attention est celui de Romance. Ce mot tire de sa polysémie plusieurs éléments intéressants à étudier. En dehors de son emploi lié au domaine de l’amour (une histoire romantique), il faut savoir qu’une romance peut tout d’abord être considérée comme « une œuvre de fiction traitant d’événements éloignés de la vie réelle, en particulier unique en son genre populaire aux XVIe et XVIIe siècles ». Enfin, ce genre est aussi qualifié d’une « qualité ou sentiment de mystère, d’excitation et d’éloignement de la vie quotidienne ». À la lumière de ces deux définitions, essayons de mettre en évidence le lien entre l’univers de One Piece et la signification profonde du terme Romance, qui prête son nom au premier chapitre narratif du manga.
One Piece ou le cadre initial d’une Romance
Le point de départ d’une Romance consiste en un endroit symbolisant la « vie réelle » qu’évoquent ces deux définitions. Le village de Fuchsia représente parfaitement cet aspect. Effectivement, ce lieu incarne pour le lecteur un cadre de vie plus qu’ordinaire. Nous en témoignons dès les premières phrases introductives du village. D’un côté, il est décrit comme un « petit village maritime ». L’adjectif choisi, en plus d’accentuer une dimension de taille réduite face au monde auquel il appartient, suggère une certaine simplicité, voire de l’humilité. D’un autre côté, l’atmosphère de Fuchsia est qualifiée « des plus paisibles ». L’expression renforçant l’idée d’un environnement incroyablement calme qui dépasse les attentes habituelles. Soit, la configuration d’une vie aux antipodes de l’aventure auquel le terme de Romance renvoie.
Ses habitants vivent d’agriculture et de pêche, avec un Maire en guise de figure d’autorité. Ce dernier rejette la volonté de Luffy de prendre la mer en suivant les pas de Shanks le Roux. Il exprime la certaine attache à l’ordinaire que l’on ressent au sein du village de Fuchsia. Mais, que Luffy cherche à rompre, car il aspire à une vie d’aventure. Makino et le bar dont elle est propriétaire sont également au service de cette dimension banale. Elle incarne l’idée de « vie quotidienne » dès lors que Luffy se rend à deux reprises dans son bar. Comme une routine. La gérante fait en quelque sorte figure de rôle protecteur et bienveillant envers le jeune garçon. Elle ne bride pas ses rêves d’aventures et prend soin de lui. En agissant comme une mère, elle inspire la notion de sécurité que l’on ressent chez soi.
Dans la mesure où nous venons de voir ce qui constitue le cadre ordinaire de Luffy au sein de cette Romance, envisageons maintenant celui qui tend vers le fameux « sentiment de mystère, d’excitation » propre à ce genre. Cet aspect est incarné par deux personnages distincts. Tout d’abord par Shanks le Roux. Ce dernier ne cesse d’apporter un échantillon de la vie au-delà de la routine du village de Fuchsia, comme le fruit du Gum-Gum.
Dès sa présence, l’auteur sollicite l’imagination du lecteur. Les questions qui nous viennent à l’esprit sont tout de suite y en a-t-il d’autre ? Si oui de quel type ? D’où sortent-ils ? Et surtout, comment Luffy, désormais homme élastique, utilisera-t-il ce fruit au combat ? Toutes ces composantes permettent à Oda de titiller le lecteur et de donner un aperçu de ce qui nous attend dans l’œuvre. C’est d’ailleurs ce qui fait tout le charme et quelque part le mystère qui entoure Shanks et ses hommes dans ce chapitre d’introduction.
D’autre part, cet élément est surtout représenté par Gold Roger. Par ses dernières paroles incitant le monde à rechercher son trésor, Oda entend faire germer de la curiosité aussi bien chez ses lecteurs que chez Luffy. C’est d’ailleurs sa détermination et son enthousiasme à l’idée de le trouver, afin de devenir Roi des Pirates, qui nous permet de garder ce niveau d’excitation tout au long de l’aventure. Enfin, le mot légende qui est associé au personnage de Gold Roger rejoint la notion « d’événements éloignés de la vie réelle » de la définition d’une Romance. Elle pose les bases d’un récit où se tutoient réel et merveilleux, dans un monde aussi vaste et extravaguant que celui de One Piece.
Par son titre, le chapitre Romance Dawn, annonce « l’aube d’une grande aventure ». Oda utilise sa structure au service du propos avancé. Maintenant que nous avons établi le cadre romanesque du chapitre, nous pouvons désormais nous attaquer à l’histoire en elle-même. Cette introduction vise clairement à caractériser les concepts qui alimentent le monde de One Piece. Cet univers met en scène des pirates. Il est donc naturel qu’Eiichiro Oda nous en donne une définition. Et nous allons voir que cette dernière diffère de la conception habituelle que nous avons de ce terme et des personnes qui l’incarnent.
L’idéal de Luffy face à la réalité de One Piece
Dès ses premières apparitions, il devient évident que Luffy a une conception bien définie de ce qu’est un pirate à ses yeux. Pour lui, il doit être puissant, résistant et dénué de toute peur. Nous retrouvons cet idéal tout au long du prologue par les paroles et les actions du jeune garçon. Lors de la première scène où il apparaît, il applique sa vision de pirate en plantant un couteau près de son œil, puis défie l’équipage de Shanks en affirmant qu’il ne ressent aucune douleur. Cette introduction sert non seulement à poser ses ambitions devant les lecteurs, mais aussi à établir sa légitimité auprès de Shanks et de son équipage. Il prétend même que ses poings sont aussi puissants qu’une balle de pistolet. Néanmoins, le protagoniste verra sa vision du pirate entrer en conflit avec celle de Shanks lors de la confrontation entre ce dernier et Higuma.
Ce brigand attaque Shanks de manière futile, mais ce dernier choisit de ne pas riposter. Pour les membres de son équipage, cet incident est simplement amusant et sans conséquence, Shanks lui-même en rit. Mais tout cela n’amuse pas du tout Luffy. Selon lui, l’absence de réaction trahit une lâcheté de la part du pirate qu’il admire tant. Ou plutôt, une absence de réaction qui trahit l’image qu’il s’était faite de lui durant son enfance. Shanks estime qu’il y a des combats qui ne méritent pas d’être menés. Comme il le formule, il s’agit simplement de « quelques gouttes d’alcool renversées », rien de plus.
Luffy considère que le courage aurait été d’affronter directement l’agresseur, mais Makino, en conseillant à Luffy de voir autrement cette situation, propose une perspective différente de ce terme. Elle lui explique que ne pas riposter et trouver le moyen de rire de la situation en est l’une de ses formes. Un point de vue difficile à concevoir pour Luffy, encore obnubilé par son idéal. Sa prise de conscience survient lorsqu’il souhaite défendre son idole en essayant de se venger d’Higuma. Néanmoins, le lecteur voit vite qu’il n’est pas à la hauteur du pirate qu’il conçoit dans sa tête. Son coup de poing qu’il proclame « aussi puissant qu’un pistolet » n’est pas capable de défendre ses idéaux et le ramène fatalement à sa condition d’enfant capricieux et immature. De là, plusieurs éléments vont contribuer au changement de Luffy.
Premièrement, nous pouvons mentionner le Maire. Ce dernier, qui incarne pourtant la plus haute figure d’autorité du village, avale sa fierté en se mettant à genou tête contre terre afin qu’Higuma relâche Luffy. Bien qu’il ne soit pas un pirate, le Maire montre bien au jeune garçon que sa vie est plus importante que sa propre fierté. Ce qui constitue un type de courage auquel Makino faisait référence plus tôt, mais que Luffy ne comprenait pas. Ce n’est qu’en grandissant et en saisissant l’essence du pirate que ce fameux Gum-Gum no Pistol lui permettra de vaincre l’obstacle qui se dresse devant son épopée. Un poing bien plus lourd de sens…
Enfin, il y a Shanks et ses hommes. Dans un premier temps, nous les voyons heureux, en train de boire, rire aux éclats et faire la fête. En somme, une vision plutôt idyllique. Mais, le Roux montre bien que la piraterie n’est pas un jeu, avec Lucky Roo qui abat un brigand d’une balle dans la tête. Si on ne lui avait pas autorisé à voyager avec Shanks, c’était en partie pour cette raison, et le jeune garçon l’a maintenant assimilée.
Au de-là de cette dimension, le pirate ne se bat que pour protéger les siens et pas sous n’importe quel prétexte, ce qui les différencie des brigands de bas étage. Il se bat également pour sa liberté, ce que nous verrons tout au long du manga. Quoi qu’il en soit, en voyant Shanks sacrifier son bras pour lui, le protagoniste prend conscience de la valeur de sa vie aux yeux de son idole et développe une nouvelle admiration pour lui. Pas pour le pirate qu’il incarnait dans sa conception, mais pour le pirate qu’il est réellement : une personne attirée par l’inconnu, qui se bat pour ses amis.
La mer, une notion de la piraterie revisitée
Notons maintenant la définition de la mer qui est présentée dans ce prologue. Cette notion est prise dans son sens premier, c’est-à-dire « l’eau salée qui recouvre la majeure partie de la surface de la Terre et entoure ses continents et ses îles ». Le vocabulaire des pirates de Shanks, en plus de laisser entendre que la mer est au centre de la philosophie du pirate, est dans cette même optique lorsqu’ils disent prendre « les choses comme elles viennent », de la même manière que les bateaux lorsqu’ils prennent les vagues. De même, Shanks exprime cela en évoquant l’incapacité de Luffy à devenir pirate en raison de son inaptitude à la nage. Bien sûr, il est évident que ces propos visent à persuader le protagoniste obstiné qu’il est encore trop tôt pour son épopée.
Quoi qu’il en soit, cette remarque sous-entend qu’étant donné qu’un pirate passe la majeure partie de sa vie en mer, il serait paradoxal pour lui de ne pas savoir nager. En réalité, cela reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Luffy adhère sincèrement à cette perspective et envisage donc seulement la mer dans sa définition littérale. Tandis que le propos sur sa réelle essence est amené de manière subtile dans ce chapitre, ce n’est pas le cas dans le One Shot éponyme qui aborde la question frontalement.
Wanted! est un recueil d’histoires courtes d’Eiichiro Oda antérieur à l’épopée de One Piece. Parmi ces récits se trouve celui qui a conféré son titre au premier chapitre du manga : « Romance Dawn ». L’univers de One Piece a préservé de nombreux éléments du One Shot, tels que le personnage de Monkey D. Luffy. Les distinctions principales résidant dans le nom et la chevelure de Nami (rebaptisée Anne, arborant des cheveux bleus), l’introduction de Monkey D. Garp dès le commencement, ainsi que Spiel l’hexagone qui deviendra l’emblématique Baggy le Clown tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Cette histoire est pertinente, car elle est porteuse de concepts développés dans One Piece, notamment la mer dont nous sommes en train de parler. Sa conception ordinaire (sens premier) est le moteur de la philosophie du Luffy de ce One Shot. Ce dernier avoue, en larmes, qu’il n’osait pas parler de son rêve de devenir pirate, car il ne pouvait plus nager. Avoir mangé le fruit du Gum-Gum était devenu une malédiction qui l’empêcherait de prendre la mer et de vivre sa propre aventure.
Par conséquent, Oda force aussi bien son lectorat que son personnage principal à voir la mer différemment. En effet, l’optique de Luffy d’apprendre à nager pour la conquérir était l’une des dernières choses qui l’attachaient à son idéal premier de la piraterie. Désormais, le sens littéral du terme se substitue de force à son sens métaphorique avec la présence des fruits du démon. Leur dominance est portée à chaque échelle de l’univers du manga, que ce soient les pirates, les corsaires, les amiraux ou les empereurs. Ainsi, la logique exige que le sens de la mer aille bien au-delà de sa conception ordinaire dans One Piece.
La version Wanted! de Monkey D. Garp décrit la mer comme une bête qui nivelle toutes les individualités, car même ceux qui savent nager sont condamnés s’ils sombrent avec leur navire. Quelque part, elle incarnerait une sorte de fatalité où il ne sert à rien de lutter contre elle ou de le voir comme une ennemie. Cette vision est partagée par un Luffy devenu plus mûr à ce sujet. Ce dernier ne voit pas la mer comme un adversaire à battre ou une bête à dompter, mais comme un terrain où la personne qui jouira de la plus grande liberté dessus sera celle qui pourra être Roi des Pirates. La mer, c’est la liberté.
La vraie valeur d’un trésor dans One Piece
Pour finir, le dernier concept mis en avant par ce premier chapitre de One Piece est celui du trésor. Effectivement, avec le pirate et la mer, cette notion complète le champ lexical de ce domaine développé ici. Eiichiro Oda a orchestré la confrontation de deux perspectives implicites de ce terme à travers son personnage principal. Dans la conception ordinaire que nous nous faisons du pirate, l’individu est rarement représenté sans ses richesses attestant de ses péripéties. Cette association est enracinée dans les contes de pirates, où les cartes au trésor, les îles secrètes et les coffres remplis d’or en sont les éléments emblématiques. Elles incarnent donc la récompense pour les risques pris en s’aventurant en mer.
Luffy semble adopter ce point de vue dans sa manière d’envisager les choses. Nous le remarquons lors de la scène dans le bar avec Makino. Ce dernier dit à la femme qu’il la remboursera avec le premier trésor qu’il trouvera une fois devenu pirate. Nous avons affaire à une vision de ce terme appartenant au domaine du matériel, du réel. Comme le jeune garçon, le lecteur voit ses préjugés se déconstruire afin d’apporter un nouveau regard à ce concept.
Ce n’est qu’à la fin du chapitre qu’Oda nous montre un exemple d’un réel trésor selon les critères du pirate de son monde. Vous l’aurez compris, il s’agit du chapeau de paille que Shanks transmet à Luffy. Si ce dernier comptait rembourser Makino avec son premier trésor dans son idéologie initiale, ici Luffy compte rembourser le pari de Shanks qui a sacrifié son bras au monstre marin en arborant son chapeau, signe de la nouvelle personne qu’il est devenu. Les trésors, qui ne reflétaient alors que la richesse matérielle auparavant, gagnent une signification nouvelle en se connectant aux valeurs et aux rêves des pirates. Ainsi, la transmission de ce chapeau de paille représente l’intégralité de ce que Luffy aspire à devenir.
En définitive, l’Aube d’une Grande Aventure
Lorsque nous nous engageons dans une œuvre, nous signons une sorte de pacte de lecture qui nous permet d’accepter les événements imaginés par l’auteur, à partir du moment où ils sont cohérents avec ce à quoi nous avons été introduits auparavant. C’est exactement ce que fait Oda par un prologue incisif et rempli de promesses quant à l’univers dans lequel Luffy évoluera.
Le lecteur dépasse le cadre de son imagination et se laisse porté afin de voir à quel point ce dernier sera étiré, à l’instar du personnage principal. L’idéal du pirate libre, naviguant sur une mer aussi bien mystérieuse que périlleuse, dont un « Roi » a lancé l’Âge d’Or, constitue l’enjeu principal du prologue de cette Romance. Luffy et le lecteur, l’un porté par ses ambitions et l’autre par sa curiosité, embarquent ensemble pour une grande aventure.
Le 31 août 2023 marquera l’arrivée de la version live-action de l’œuvre d’Eiichiro Oda sur Netflix. Cette adaptation de huit épisodes, portée par des acteurs très enthousiastes et soutenue par des bandes-annonces prometteuses, suscite pas mal d’attentes de la part du public. Reste à savoir si cette expérience répondra aux exigences des fans du manga…